Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB |
«HILLEL ET CHAMMAÏ »
On sait que Hillel et Chammaï étaient presque toujours en discussion.
Leur conception propre de la Tora apparaît déjà
dans le Traité des Principes qui contient les idées essentielles
des Rabbins :
"Hillel disait : sois parmi les disciples d'Aaron, aimant la
paix, poursuivant la paix, aimant les créatures et les rapprochant
de la Tora" (Pirké Avot I, 12).
"Chammaï disait : fais de la Tora quelque chose de stable,
de fixe ; parle peu, mais agis beaucoup ; et accueille tout homme avec
affabilité. " (ib. I, 15).
S'il est de notoriété publique que Chammaï et Hillel étaient pratiquement toujours en désaccord, on a l'impression que, dans ces deux phrases, ils se rejoignent et disent pratiquement la même chose (quoique en termes légèrement différents, avec quelques nuances de styles). Mais si l'on y regarde de plus près, on se rend compte qu'il ne s'agit que d'une illusion, car ces légères différences de formulations sont l'expression d'attitudes fondamentalement différentes - et il n'est pas indifférent qu'on relève ces nuances précisément dans les Pirké Avot qui contiennent les principes directeurs qui ont guidé les Sages.
Chammaï et Hillel, et plus tard Beth Chammaï et Beth Hillel, ont été divisés dans d'innombrables situations, aussi bien en matière de halakha que de aggada ; mais c'est dans les Pirké Avot qu'il faut le rechercher le point de départ de toutes leurs divergences : ces deux phrases constituent la clé de toutes les discussions entre ces deux grandes Ecoles fondatrices de la pensée juive. C'est la raison pour laquelle il convient de les relire attentivement, pour en déceler les différences, les nuances, et en dégager les principes essentiels qui ont guidé et inspiré ces deux grandes écoles de la pensée juive.
Reprenons donc les deux citations, rapprochons les et comparons les.
Hillel a dit : "aime les créatures" ;
Chammaï a dit : "accueille tout homme avec affabilité".
Chammaï a dit : "fais de la Tora l'essentiel" ;
Hillel a dit : "(aime les créatures) et rapproche les
de la Tora" ou "(aime les créatures) pour les rapprocher de la Tora"
!
Le contenu de ces règles est très semblable, pratiquement identique. Mais la différence majeure se présente dans l'ordre des deux propositions contenues dans chacun de ces enseignements : il y a inversion dans l'ordre où les deux idées sont présentées.
Chammaï commence par l'importance de la Tora et il termine par
la cordialité, la chaleur qu'il convient de témoigner à
chacun.
Hillel, au contraire, commence par la quête de la paix, et il
termine par la Tora.
De l'ordre adopté par Hillel et Chammaï dans ces deux phrases, découlent des implications considérables.
S'il est vrai que les attitudes, les caractères de ces deux Rabbins qu'étaient Hillel et Chammaï, étaient radicalement opposés, il faut souligner cependant que leurs intentions, leurs objectifs étaient identiques : ils n'étaient animés, l'un et l'autre, que par la volonté de servir Dieu de la meilleure façon.
On peut illustrer la différence de leur attitude en évoquant (Chabbat 31 a) l'épisode célèbre de ce candidat à la conversion qui a demandé à Chammaï de ne lui enseigner que la Loi écrite ; ou de celui qui a demandé à Chammaï de lui enseigner toute la Tora pendant le temps qu'il reste sur un pied ; ou de celui qui a voulu se convertir afin de devenir grand prêtre.
Chammaï les a fermement repoussés.
Hillel a converti le premier, et a donné au second la réponse célèbre : "Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit" [cette formule est la "traduction" araméenne "officielle" du verset "Tu aimeras ton prochain comme toi-même"]. Quant au troisième, il a spontanément renoncé à porter les vêtements du Grand Prêtre (quand il a vu le verset Exode XXXIII, 4).
Toutes ces histoires, comme d'autres attitudes ou enseignements de Chammaï, laissent à penser que Chammaï était un homme dur, rigoureux, sévère. Mais on se tromperait gravement en donnant de Chammaï l'image d'un homme brutal, voire coléreux, qui utilise la truelle de maçon qu'il tient à la main pour repousser ses visiteurs. Car, ne l'oublions pas, Chammaï est l'homme dont la devise était : "accueille tout homme avec affabilité" !
Chammaï était simplement un homme qui n'était prêt à renoncer à aucune de ses convictions ; les principes qui l'animaient étaient absolus. Chammaï était intransigeant, au sens étymologique du terme : rien ne pouvait le faire renoncer à ses valeurs.
C'est bien ce qu'il dit explicitement : "Fais de la Tora quelque
chose d'essentiel", de fixe, de stable, de solidement établi
: "que tes principes, les principes de la Tora, soient inébranlables.
"Parle peu". Si quelqu'un vient à toi pour se
renseigner sur le judaïsme, dis lui brièvement, clairement,
nettement, les données intangibles de la Tora.
Alors seulement, s'il accepte de poursuivre la conversation sur ces
bases, "montre toi affable, disponible, chaleureux" ; parce que si ce préalable
n'était pas admis, non seulement le temps consacré à
un tel interlocuteur serait du temps perdu- ce qui ne serait peut-être
qu'un moindre mal -, mais ce serait surtout une trahison, une violation
des principes les plus sacrés.
Hillel adoptait une démarche inverse. Il ne faut pas croire pour autant, en employant une terminologie moderne, que Hillel était "libéral". Il savait aussi bien que Chammaï qu'en matière de Tora aucune concession n'est possible.
Mais, disait Hillel, on peut parvenir, ou du moins essayer de parvenir, à communiquer les principes de la Tora, dans leurs exigences les plus rigoureuses, par une autre méthode que celle de Chammaï : "en aimant la paix, en poursuivant la paix, en aimant les créatures". Peut-être atteindra-t-on ainsi l'objectif commun à Hillel et Chammaï : "rapprocher les hommes de la Tora".
Il est important de souligner que dans les trois récits que nous avons rapportés, Hillel s'est peut-être montré plus accueillant que Chammaï, mais il s'est montré tout aussi intransigeant que lui : il n'a fait aucune concession, parce qu'on ne peut faire aucun compromis en matière de Tora ; aucun aménagement n'est possible, quand les principes essentiels du judaïsme sont en cause.
La démarche de Hillel a été différente de celle de Chammaï, certes. Mais dans les trois récits où l'ouverture d'esprit de Hillel a été mise en lumière, il ne faut pas oublier que ce sont ses interlocuteurs qui ont renoncé aux conditions qu'ils avaient mises à leur acceptation de la Tora : l'un a finalement adhéré au judaïsme de la Loi Ecrite et de la Loi Orale, l'autre n'est pas devenu Grand Prêtre, et le troisième a compris non seulement qu'il était impossible d'apprendre toute la Tora sur un pied, mais que même une vie d'homme n'y suffirait pas.
Pour revenir aux Pirké Avot, Hillel et Chammaï expriment les mêmes idées, mais l'ordre dans lequel ils présentent leurs propositions révèle une conception de l'existence fondamentalement différente.
Il est intéressant de noter ici que Hillel ne se contente pas de formuler les règles de vie que nous avons citées : il les introduit par une référence à Aaron.
"Sois parmi les disciples d'Aaron : comme lui, aime la paix et poursuis la paix".
On peut donc penser que si Hillel se réfère explicitement
à Aaron, Chammaï se réfère à Moïse.
.Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....
.