Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB


 
 

«JACOB -ISRAEL »

Première constatation :

 Plusieurs personnages bibliques ont été affectés au cours de leur histoire d’un changement de nom (Abraham, Sarah, Josué) ; il ne viendrait à l’idée de personne de les désigner ultérieurement par leur nom initial (Avram, Saraï, Hochéa) or le troisième patriarche a été lui aussi affecté par un changement de nom (Genèse XXXII, 29) : « Ton nom ne sera plus Jacob mais Israël... » et pourtant le nom de Jacob continu a être utilisé non seulement dans le vocabulaire courant mais également dans la liturgie (Eloké Avraham, Eloké Itshak vééloké Yaacov) et déjà dans la Bible (Exode I, 1)

Cette particularité appelle un commentaire.
 

Deuxième constatation :

 De tous les personnages bibliques, la Thora dit explicitement qu’à la fin de leur vie, ils sont morts ; Yaacov est le seul à propos de qui on ne trouve pas cette phrase.
Ce qui a conduit les rabbins du Talmud à dire : « Notre père Jacob n’est pas mort ».
On a rétorqué à cela qu’«il a [pourtant] été embaumé, inhumé, etc. », ce qui semble indiquer qu’il est mort !
Rachi, reprenant le Talmud justifie cependant l’affirmation surprenante que « Jacob n’est pas mort » en disant : «Aussi longtemps que ses descendants sont en vie, il est considéré comme vivant ».

On constatera ainsi que les deux parachiot dont le nom comporte l’idée de « vie » (‘Hayyé Sarah, Vaye’hi) parlent respectivement de la mort de Sarah et de la mort de Jacob comme pour dire que « les justes, même après qu’ils aient cessé de vivre sont considérés comme vivants » : ils survivent à travers leurs enfants ou leurs disciples qui pérennisent les valeurs auxquelles ils étaient attachés.
Troisième constatation :

 Dès que Joseph se fait reconnaître à ses frères il pose la question : « Est-ce que mon père vit encore ? » (Gen. XLV, 3).

Cette interrogation est surprenante à plus d’un titre. En effet, il est inconvenant de poser ce genre de questions, et de plus, en l’occurrence Joseph était censé savoir que son père était vivant puisque lors de chacun de leurs voyages les frères ont insisté sur la place de leur père dans la famille et sur ses sentiments.

On notera également que lorsque Dieu à envoyé Moïse pour libérer les enfants d’Israël de l’esclavage d’Egypte, Moïse a dit qu’il allait retourner vers ses frères pour voir « s’ils étaient encore vivants » (Exode IV, 18); il ne pouvait pourtant pas douter de la réponse puisque c’était Dieu Lui-même qui l’avait délégué vers eux.
On notera enfin que les frères de Joseph se sont empressés d’aller dire à leur père que « Joseph vivait encore » (Genèse XLV, 26) et ils lui ont montré les objets que Joseph lui avait envoyés et qui devaient accréditer l’information ; et pourtant Yaacov de dire qu’il veut aller voir son fils avant de mourir puisque  « Joseph, mon fils, vit encore » (Genèse XLV, 28).
 

Quatrième remarque préliminaire :

 Le roi David exprime son désir de célébrer la gloire de l’Eternel en disant : « Je veux chanter pour l’Eternel aussi longtemps que je vis » (Psaume 104, 33 et 146, 2), ce qui semble d’autant plus surprenant qu’il écrit par ailleurs (Psaumes 115, 17) que « ce n’est pas aux morts de louer l’Eternel » - d’ailleurs on imagine mal un mort devant chanter la gloire du Seigneur !

Une clé :

En hébreu - comme en français -  les adverbes peuvent avoir une signification nominale. Dans tous les versets cités précédemment le mot ‘OD a été traduit comme un adverbe.
Si l’on considère le mot ‘OD comme un substantif il désigne un « plus », un supplément, un élément spécifique.

Ainsi, lorsque le roi David dit « Je veux chanter pour l’Eternel aussi longtemps que je vis », il affirme que les hymnes qu’il veut chanter ne sont pas seulement l’expression de ses sentiments personnels mais le reflet de l’inspiration divine qui l’anime.

Lorsque Joseph demande : « Est-ce que mon père vit encore »,  il veut savoir si Yaacov a conservé, malgré le choc qu’il a subi en apprenant la disparition de son fils, ce supplément d’âme, ce sens prophétique qui l’habitait autrefois.

Lorsque Jacob dit « Joseph, mon fils, vit encore », il veut s’assurer que, malgré les hautes fonctions qu’il occupe en Egypte, Joseph a conservé les valeurs spirituelles auxquelles la famille des patriarches était attachée.

Lorsque Moïse dit vouloir voir « s’ils étaient encore vivants », il veut s’assurer que, malgré leur long séjour en Egypte et malgré les souffrances liées à l’esclavage, les enfants d’Israël ont conservé un lien avec la tradition de leurs ancêtres.

****

Jacob - Israël :

Le troisième patriarche s’appelait Ya’aKoV et ce nom qui évoque le talon (‘éKeV) désigne ce personnage lorsqu’il est « foulé au pied », blessé - si l’on peut s’exprimer ainsi - à son talon d’Achille.
Israël, étymologiquement désigne le même personnage lorsqu’il est en situation de victoire et de fierté.

Or, après son combat avec l’Ange, le troisième patriarche a de nouveau connu des situations de faiblesse, de tristesse et d’humiliation dans lesquelles il a retrouvé son nom de Yaacov.

L’illustration la plus éloquente de cette idée figure au tout début du livre de l’Exode (I, 1) : « Voici les noms des enfants d’Israël qui sont descendus en Egypte avec Jacob ». Dans ce verset le même personnage est désigné par ses deux noms : sitôt qu’il va dans l’exil de l’Egypte, et qu’il perd sa normalité, il retrouve le nom de Yaacov   (voir aussi Osée XII : « Jacob s’est enfui »).
Tout ce passe comme si le changement de nom du troisième patriarche n’était pas irréversible et définitif : c’est l’histoire de ses descendants qui s’inscrit dans le prolongement de « Yaacov » ou qui réalise le passage à « Israël ».

Aussi longtemps que certains de ses descendants vivent en exil on doit considérer que « Jacob n’est pas mort », c’est à dire qu’il n’a pas disparu pour laisser la place à Israël.

On se souvient de l’hymne adopté par les juifs opprimés en Union Soviétique et universellement repris dans toutes les manifestations de solidarité avec eux : « ’OD  AVINOU  'HAÏ,  AM  ISRAEL 'HAÏ ».

Si l’on se contentait de traduire la première proposition par « Notre père vit encore », elle n’aurait aucun sens : sans doute, bien des orphelins ont entonné ce  chant.

Quel est ce père, ce patriarche, dont les refuzniks voulaient nous dire qu’il n’était pas mort, si ce n’est Jacob ?

Aussi longtemps qu’il existe des juifs opprimés, condamnés à l’exil et au silence, « Jacob » n’est pas mort.

Si l’on donne au mot ‘OD le sens de «attachement aux valeurs du peuple juif », ces refuzniks lançaient aussi un appel pour dire que malgré les décennies d’oppression, ils n’avaient pas oublié les espérances de leur peuple « ‘Am Israël ' haï ».

En guise de conclusion :

Notre génération est peut-être celle où la bénédiction de l’Ange au troisième patriarche peut être réalisée et où Jacob - le judaïsme de l’exil - laissera la place à Israël.
 

Questions  sans  réponses :

1/ Pourquoi le chant «’OD AVINOU ‘HAÏ» a-t-il connu le succès universel que l’on sait, alors que ses paroles, dans leur traduction littérale, sont au mieux dérisoires ?
Comment ces jeunes juifs privés de toutes possibilités d’études ont-ils retrouvé ces quelques mots pleins de sens ?

2/ Pourquoi l’Etat Juif qui a été créé il y a maintenant 50 ans a-t-il choisi, plutôt que bien des noms qui auraient pu venir à l’esprit de ses fondateurs, le nom d’Israël ?
 

Remarque complémentaire :

Avant de bénir ses enfants, Jacob leur demande de se réunir :

« Rassemblez vous, enfants de Jacob et écoutez Israël votre père »
(Genèse XLIX, 2 )

Tant que les enfants sont séparés, le troisième patriarche est désigné sous le nom de Jacob avec ce que cela représente de fragilité et de faiblesse ; sitôt qu’ils sont rassemblés, le patriarche est désigné par le nom Israël.
 
 
 

.Le Rabbin Daniel GOTTLIEB

    Nos remerciements à Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....



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