Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB


 
 

«L E S    N O M S     D E      D I E U »


 
 
 

Remarque préliminaire

Une langue comporte d'autant plus de synonymes pour désigner une idée que le peuple qui parle cette langue est familiarisé avec cette idée. Par exemple, la langue des gens de la mer comporte de très nombreux synonymes pour désigner les phénomènes qui se manifestent par différentes sortes de vents ; par contre les citadins n'utilisent que le mot "vent", y associant parfois l'adjectif de "faible" ou "fort", mais il n'y a pas de véritable synonyme. Pour ce qui est de "Dieu", la langue française ne connaît qu'un terme - "Dieu", en l'occurrence - et, comme cette langue veut éviter les répétition trop fréquentes, elle a utilisé des adjectifs ou des noms communs auxquels on met une majuscule, mais ce ne sont que des attributs ou des qualificatifs qui ne sont pas à proprement parler des "noms" (exemples : l'Eternel, le Seigneur, le Tout Puissant, etc.).

La langue hébraïque, par contre, contient de nombreux termes pour désigner Dieu, chacun de ces termes constituant un véritable "nom".
 

La notion de la pluralité ou de la multiplicité de noms pour désigner une même personne ou une même chose, n'est pas totalement étrangère à la pensée occidentale. Ainsi, "Monsieur le docteur André Dupont, Président de l'association des médecins du Val-de-Marne" sera désigné, selon les circonstances, de différentes façons : "Docteur", "Monsieur" le président", "Monsieur Dupont", "Albert", voire "Papa" par ses enfants s'il en a. Ces différents termes désignent la même personne, mais chacun de ces noms est utilisé dans le cadre d'une relation ou d'une fonction particulière : dans l'association de médecins, on l'appellera "Monsieur le Président" ; un patient l'appellera "Docteur" ; l'Administration l'appellera "Monsieur Dupont" ; ses amis l'appelleront "Albert" ; ses enfants, "Papa". Utiliser l'un de ces termes à mauvais escient peut constituer une erreur voire une faute.

Ainsi, le lecteur de la Bible en français ne peut-il pas toujours percevoir les significations du terme utilisé par la Bible hébraïque pour désigner Dieu, ce qui conduit fréquemment à rendre les traductions du texte biblique incompréhensibles ou mener à de véritables contresens.

Nous allons tenter de commenter certains versets ou certains passages bibliques en tenant compte de cette particularité.


 
BERECHIT
 

GENESE  I, 1 : "Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre".
 

Le terme biblique utilisé ici pour désigner Dieu est "ELOKHIM". C'est ce terme qui est utilisé dans tout le récit biblique de la Création.

La première fois où apparaît un autre nom, c'est au chapitre II, verset 4 : "Voici l'histoire du ciel et de la terre lorsqu'ils ont été créés, le jour où "Hachem Elokhim" a fait la terre et le ciel".

Ici apparaît une expression composée de deux noms divins, le Tétragramme et Elokhim. Les commentateurs voient dans ce changement de nom intervenu au niveau de Dieu, une indication concernant la signification de chacun de ces termes.

Lorsque Dieu a pensé le monde dans le projet initial de la Création, Il est désigné par "Elokhim" ; et aussi longtemps que Dieu n'est en présence que des éléments dociles de la Création, le seul terme utilisé reste "Elokhim". Ce qui permet aux commentaires traditionnels de dire que "Elokhim" désigne Dieu lorsque Il se manifeste avec une exigence de rigueur, analogue à celle de l'horloger qui veut fabriquer une montre, une pendule, avec un mécanisme parfait ; si l'objet ne répond pas à la finalité à laquelle il est destiné, l'objet sera purement et simplement jeté ou détruit. Cette rigueur peut se comprendre dans un sens moral à savoir que le nom de "Elokhim" est utilisé pour désigner Dieu lorsqu'il se manifeste avec une exigence de justice. Dès le moment où Dieu a créé l'homme libre, c'est à dire capable de faillir, Dieu a été confronté, s'il on peut s'exprimer ainsi, à un cas de conscience : s'Il continuait à vouloir diriger ou gérer le monde avec cette exigence de justice et de rigueur, à la première faute commise par l'homme, l'humanité devrait être détruite. Pour que le monde puisse subsister, il a fallu que Dieu tempère en quelque sorte cette exigence de justice en envisageant de considérer l'homme avec amour. Sans aller jusqu'à dire que l'amour rend nécessairement aveugle, l'amour permet de comprendre, d'accepter, voire de pardonner les fautes ou les erreurs de l'être aimé. Ainsi chaque fois que dans le texte biblique, Dieu est désigné par "Hachem", par le Tétragramme, c'est que nous sommes en présence d'une manifestation de l'amour que Dieu porte à ses créatures.
 

**********

 
 

Nous allons illustrer ce paragraphe par l'étude d'un texte biblique :
GENESE, chapitre III.

Il s'agit de l'épisode célèbre de la consommation du "fruit défendu", mais nous mettrons l'accent sur le rôle du serpent en nous basant exclusivement sur la lecture et le commentaire littéral du texte.

"Le serpent dit à la femme, n'est-il pas vrai que Dieu vous a interdit, vous a dit de ne pas manger de tous les arbres du Jardin". (Verset 1)

Tout le monde se souvient en effet de l'interdiction que Dieu avait faite à Adam de manger de tous les arbres, mais il est important lorsqu'on étudie un texte de se baser sur l'original et de ne pas se satisfaire de réminiscences.

Au chapitre précédent, au chapitre II, verset 15, le texte biblique avait en effet dit que "le Seigneur Dieu a placé l'homme dans le jardin pour le garder et pour le travailler ; le Seigneur Dieu a donné un ordre à Adam en lui disant : 'de tous les arbres du jardin tu mangeras, tu dois manger, mais de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal,  tu n'en mangeras pas car le jour où tu en mangerais, tu mourrais'".

Autrement dit, la première citation qui est faite de cette phrase par le serpent, est une citation malhonnête parce que tronquée. Comparons en effet les deux versets :
- au chapitre II, Dieu commence par autoriser la consommation de tous les arbres ; non seulement Il l'autorise, mais la répétition du verbe manger, justifie la traduction proposée de "tu dois manger". C'est à dire tu dois profiter de ce que la nature met à ta disposition et tu dois en jouir, mais d'un arbre, tu n'en mangeras pas. Non seulement la citation faite par le serpent est tronquée, mais également on peut constater plusieurs différences. Le serpent dit : "Af ki amar" : "Bien que Dieu ait dit quelque chose". Si on compare avec le récit de l'intervention de Dieu auprès de Adam, il est écrit "vayetsav" : "Dieu ordonna". Autrement dit le serpent transforme ce qui était un ordre dans la bouche de Dieu en un conseil amical, par rapport auquel on peut se situer avec moins de rigueur.
 
- En continuant la comparaison du verset du chapitre II avec l'intervention du serpent, on constatera d'autres différences, d'autres nuances. Dieu avait dit à Adam et à lui seul," Tu mangeras de tous les arbres du jardin, sauf de l'un d'entre eux". Le verbe est bien entendu au singulier puisque Dieu ne s'adressait qu'à Adam dans la mesure où, toujours en suivant le récit biblique de la Création, la création de la femme n'est envisagée qu'au verset 18 du chapitre II. Ainsi lorsque le serpent dit : "vous a interdit", il modifie le contenu de la parole divine. Sans doute, lorsque Dieu a interdit à Adam de manger des fruits de cet arbre, a t-Il "pensé" également aux autres humains qui pourraient être concernés par cet ordre.

Le serpent était rusé et il nous est impossible de savoir si Adam ayant compris cet ordre comme lui étant adressé à titre personnel, ne l'a pas transmis à Eve. Mais quand bien même Adam l'aurait-il communiqué à son épouse, Eve ne connaissait cet ordre divin que de deuxième source et par conséquent, elle ne pouvait pas répondre au "Satan" avec la même énergie et la même conviction que celle qu'aurait mise Adam. C'est la raison pour laquelle le serpent s'en est pris à Eve et non pas à Adam.

Ainsi acculée à devoir se défendre ou à prendre la défense de Dieu, Eve répond au serpent en lui disant : "Nous pouvons manger de l'arbre du jardin, mais de l'arbre qui est au milieu, Dieu a dit qu'il ne faut pas en manger, qu'il ne faut pas y toucher de peur que nous en mourrions". Maintenant, c'est Eve qui dans ses citations modifie le contenu réel de l'intervention de Dieu. D'abord elle utilise le vocabulaire du serpent en disant "Dieu nous a dit : amar elokhim" ; elle oublie elle-même qu'il s'agit d'un ordre de la part de Dieu et non pas d'un conseil. Ensuite elle dit, "vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas" : les commentateurs disent que si elle a ajouté à l'interdiction de manger, celle de toucher, c'était pour se préparer à céder à la pression du serpent sans pour autant en venir à transgresser l'ordre divin.

En effet, en envisageant "une négociation", si l'on peut s'exprimer ainsi, avec le serpent, elle espérait que le serpent insisterait pour qu'elle mange du fruit et elle s'est ménagé la possibilité de céder partiellement à ses demandes en trouvant une demi-mesure et en disant : je veux bien y toucher mais je ne mangerai pas. Elle espérait que le serpent accepterait cette concession et elle-même aurait ainsi évité de transgresser l'ordre divin. Le fait qu'elle se soit mise en situation de céder n'a pu que contribuer au dénouement que nous connaissons, mais le fait qu'elle ait adopté le vocabulaire du serpent en disant que "Dieu a dit" et non pas que "Dieu a ordonné", constitue déjà un élément important dans cette démarche. De plus, Dieu avait dit : "si vous en mangez, vous mourrez"; or, Eve citant cette expression, la rend par : "de peur que vous mourriez". La nuance est d'importance puisque en effet, elle transforme ce que Dieu présente comme une conséquence en un risque.

(Si l'on voulait illustrer cette nuance par une situation contemporaine, on dirait que personne ne mange de ciguë ou de poison vénéneux, parce que l'on disait que celui qui en mange mourra. Par contre il existe bien des personnes qui se livrent à des consommations abusives d'alcool ou de tabac tout en sachant les risques qu'ils encourent, mais il ne s'agit que de risques et non pas de conséquences inéluctables.)

Ainsi Eve minimise la portée de la conséquence de la transgression de l'ordre divin qu'elle imagine déjà.

- La différence la plus importante que l'on peut constater entre la première intervention de Dieu et les citations qui en sont faites par le serpent et par Eve est celle ur laquelle nous voudrions mettre l'accent.. Au chapitre II, verset 15, le texte biblique dit que celui qui a donné un ordre à Adam est le Seigneur Dieu : Hachem Elokhim. En effet, en ordonnant à l'homme de profiter des biens de ce monde et d'en jouir, Dieu s'est manifesté à Adam, représentant de l'humanité, comme un Dieu d'amour qui veut le bien et le bien-être de ses créatures. Mais tout en voulant le bien de ses créatures, Dieu n'a pas renoncé à ses exigences de justice car un monde qui ne serait géré que selon des critères d'amour sombrerait rapidement dans l'anarchie. C'est la raison pour laquelle cette première intervention de Dieu consiste à dire "Vous pouvez manger, vous pouvez consommer, vous pouvez jouir de la nature, mais pas dans n'importe quelle condition". C'est ainsi que se manifeste tout à la fois, le Tétragramme qui donne, et Elokhim qui limite la jouissance des biens qu'Il met à la disposition de ses créatures.

Lorsque le serpent parle, il désigne Dieu par le seul nom de Elokhim, comme s'il voulait dire que Dieu est un Dieu de rigueur, un Dieu sévère, un Dieu qui interdit. Il néglige totalement le fait que Dieu est d'abord et avant tout un Dieu qui manifeste son amour à ses créatures, et malheureusement, en empruntant la terminologie du serpent pour lui répondre, Eve, au verset 3 dit également que c'est Elokhim qui a dit de ne pas manger les fruits de l'arbre défendu.

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Après la faute, Dieu se manifeste à Adam et Eve sous la double modalité de Hachem Elokhim. En effet, si le Dieu de la Bible n'était qu'un Dieu de justice, de sévérité, Il aurait châtié les coupables et leur aurait infligé la mort annoncée. Mais Dieu s'est pris d'amour, d'affection et de tendresse pour ses créatures, et Il accepte de poursuivre l'histoire avec eux.
 

Le monothéisme juif consiste à affirmer, selon une formule biblique, que "Hachem hou haElokhim " : que le Dieu qui s'appelle par le Nom Ineffable, est le même Dieu que celui qui est se manifeste sous celui de Elokhim. Le véritable monothéisme du Judaïsme consiste à savoir que Dieu n'est pas un Dieu sévère, un Dieu jaloux, il est à la fois un Dieu qui aime et qui, à cause de cet amour, souhaite le bien de Ses enfants même si ce bien passe par l'acceptation d'une certaine règle qui consiste en une limitation de la jouissance prescrite des biens de ce monde.
Hachem hou Ha-Elokhim, l'affirmation du monothéisme juif consiste à savoir que le Dieu de l'Histoire et le Dieu de la Morale, le Dieu de la Création et le Dieu de la Révélation, n'est qu'un seul et même Dieu.

Chema Israël Hachem Elokhim Hachem Erad : Ecoute Israël, Hachem Elokhim est un Dieu Un.
 
 

NOAH
 

Genèse V, 9 : "Voici l'histoire de Noé, Noé était un homme juste, parfait dans ses générations, il marchait avec Dieu"

Traduction linéaire :

Toledot = histoire ou engendrements.

Tsadik tamim = traduction difficile : juste et parfait (mais il manque la conjonction de coordination) ou bien "parfaitement juste"

Difficultés de traduction :

Indépendamment des difficultés de traduction des mots, on constate une difficulté d'interprétation du verset compte tenu de l'absence de ponctuation dans le texte biblique :
"Voici les Toledot de Noé : Noé était un homme juste ...."
ou bien
"Voici les engendrements de Noé (Noé était un homme juste .....)
 

Commentaires :

Si l'on dit que le mot "Toledot" désigne les enfants :"voici la liste des enfants de Noé", la suite du verset est à mettre entre parenthèses. Puisque le nom de Noé a été évoqué, on rappelle en passant, quels sont ses mérites et effectivement le verset suivant, juste après cette parenthèse donnera le nom de ces trois enfants de Noé : Sem, Ham, et Jaffet.
Par contre, si l'on dit que le mot "Toledot" désigne les engendrements non pas biologiques, mais les oeuvres produites par Noé, à ce moment là,  on comprend que le texte nous dise que Noé était un homme juste et toute la sidra qui suit raconte l'histoire de Noé lui-même.

Bedorotav : "... dans ses générations"

Cette indication est apparemment inutile. Ou bien Noé était un homme juste et intègre ou il ne l'était pas, pourquoi cette mention de "bedorotav". Quand bien même il nous semble superflu, il est présent, et comme il n'y a pas de mot inutile dans le texte biblique, il convient de l'interpréter. Cette relativité introduite par le mot "bedorotav" est diversement interprétée par les rabbins. Ou bien il s'agit d'une relativité qui est tout à l'honneur de Noé : si même dans la génération corrompue dans laquelle il vivait, il est parvenu à rester juste et intègre à combien plus forte raison serait-il devenu éminemment juste s'il avait connu l'émulation d'une autre génération.
Ou bien il s'agit d'une relativité, qui minimise les mérites de Noé : il s'agit de dire qu'il était juste dans ses générations (qui étaient des générations corrompues), mais s'il avait vécu dans une autre génération, il n'aurait été qu'un personnage quelconque ; on pourrait lui attribue selon cette pratique la formule : "au royaume des aveugles, le borgne est roi".

Rachi se fait l'écho de ces deux interprétations possibles du mot "bedorotav", remarquons cependant que Rachi s'exprime de façon surprenante il écrit en effet : " certains de nos maîtres interprètent cette phrase de façon laudative, certains l'interprètent de façon négative".

On constate dans cette phrase une rupture de parallélisme puisque toutes les interprétations citées par Rachi émanent des Sages. On aurait pu comprendre qu'il écrive : "certains l'interprètent de façon laudative et certains de façon négative", s'il tenait à dire que ces références étaient des citations rabbiniques il aurait pu écrire : "certains rabbins l'interprètent de façon laudative, d'autres rabbins l'interprètent de façon négative" ; or, Rachi s'exprime en disant "certains rabbins interprètent ce mot de façon laudative, tout à l'honneur de Noé, et certains de façon négative."

On a pu expliquer cette particularité dans le style de Rachi en rappelant un enseignement des Pirkéi Avot qui veulent que l'on juge toujours de façon favorable "lekhaf zerout". Autrement dit, quand bien même la lettre du texte justifie les deux interprétations du mot "bedorotav", les rabbins interprètent le mot en lui donnant une signification qui est tout à l'honneur ou à la gloire de Noé ; les autres, ceux qui l'interprètent de façon négative, perdent en quelque sorte leur titre ou leur dignité de "rabbin", ne serait ce que parce qu'ils jugent de façon négative bien que la lettre du texte justifie cette interprétation.
Fort de cette remarque, on doit donc s'interroger pour savoir comment il se fait que Rachi selon des sources midrachiques et talmudiques a pu envisager un jugement relativement sévère à l'égard de Noé, dont le texte biblique dit - " il ne faut pas l'oublier -  qu'il était un homme "juste et intègre".
Rachi justifie cette position en se référant à la lettre du texte qui dit en effet, que Noé marchait "Eth Ha- Elokhim", "avec Dieu, à côté de Elokhim", tandis qu'il est dit à propos d'Abraham (Genèse XXIV, 40) que Abraham a marché "devant Hachem".
Et Rachi illustre cette différence en disant que Noé marchait "à côté de Dieu comme un enfant qui donne la main à une personne adulte" : Noé avait besoin de se laisser guider par Dieu alors qu'Abraham marchait devant Lui, comme un héraut qui annonce le personnage important qui le suit.
 

Cette particularité de termes justifie sans doute le commentaire relativement sévère de Rachi.  Mais fort de ce que nous avons dit précédemment en ce qui concerne le devoir de juger favorablement, il convient de s'interroger pour savoir si ces nuances du texte correspondent effectivement à une différence de comportements et de mérites entre Noé et Abraham.
On connaît suffisamment l'histoire de Noé et d'Abraham pour savoir que leur attitude face à des situations analogues n'a pas été la même.
- Ainsi quand Dieu annonce à Noé qu'Il va détruire le monde par le déluge, Noé ne réagit pas, c'est à dire qu'il a docilement construit le bateau que Dieu lui a demandé de construire, mais il n'a pas intercédé en faveur de ses contemporains et il n'a pas davantage essayé de convaincre ses contemporains qu'il fallait changer de façon de vivre et revenir vers des voies meilleures. Or, la construction de l'Arche a duré 130 ans.
- Par contre, quand Dieu a annoncé à Abraham qu'Il allait détruire Sodome et Gomorrhe, les capitales du crime organisé, Abraham est intervenu auprès de Dieu pour tenter de sauver ces deux villes ; on sait également que Abraham a essayé de faire connaître Dieu à tous ses contemporains , à tous ceux qui passaient à proximité de sa tente. Ainsi, les nuances du texte concernant les positions respectives d'Abraham et de Noé par rapport à Dieu, correspondent-elles à des différences réelles d'attitudes.

Cependant pour ne pas rester sur l'image d'un jugement sévère contre Noé, il convient de comprendre, voire de justifier, son attitude. Or, en tenant compte de ce que nous avons appris dans le commentaire de la sidra de la semaine dernière, on notera que les positions de Noé et d'Abraham sont parfaitement compréhensibles l'une comme l'autre.
En effet le terme utilisé par la Tora pour désigner Dieu par rapport à Noé et par rapport à Abraham, n'est pas le même.
- Pour Noé, il est écrit qu'il marchait "Eth Ha Elokhim" ,"avec Elokhim", tandis que pour Abraham il est écrit " Hachem acher hitalakhti lefanaï", qu"'Abraham marchait devant Hachem". Ce qui signifie que Noé avait découvert ou connaissait Dieu sous sa modalité de "Elokhim", c'est à dire que Noé reconnaissait l'existence d'un Dieu de justice ; et si ce Dieu de justice a estimé que les contemporains de Noé étaient coupables et par conséquent devaient être châtiés, il n'appartenait en rien à Noé de contrecarrer les projets de Dieu dans la mesure où Sa justice devait nécessairement s'exercer.
- - Abraham par contre avait découvert ou compris que Dieu pouvait également se manifester sous la modalité de Hachem, c'est à dire avec miséricorde, avec amour et par conséquent, Abraham s'est senti autorisé à faire appel à la clémence divine combien même la justice divine voulait que Sodome et Gomorrhe soient châtiées.

Pour une fois encore, ne pas rester sur l'image sévère qui a pu naître en nous au sujet de Noé : on peut sans doute dire que, vraisemblablement, Abraham n'aurait pas pu découvrir et faire connaître Hachem si quelques générations avant lui Noé n'avait découvert et propagé la connaissance de Elokhim.

Dans les devoirs que la Tora demande à chacun d'observer, il y a à la fois le devoir de craindre, de respecter et de vénérer le Dieu de justice, le Dieu de la Loi, mais aussi le devoir d'aimer Dieu. La "Yira", la crainte révérencielle de Dieu, et la "ahava", l'amour de Dieu, sont certes indissociables, mais peut-être faut-il d'abord prendre conscience de la majesté divine pour oser L'approcher et pour ensuite se sentir autorisé à voir en Lui, le Père auquel on peut s'adresser avec plus de familiarité
 
 
 
 

Le Rabbin Daniel GOTTLIEB

    Nos remerciements à Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....



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