Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB |
« BIRKAT HAMAZON »
BIRKAT HAMAZON
Action de grâces après le repas
A propos de la Sidra "Vaét'hanann"
: Deutéronome VIII, 10.
De l'introduction générale à la prière
qu'il nous suffise aujourd'hui de retenir deux éléments :
1 – Si les textes liturgiques ont été rédigés et conservés en hébreu, c'est que "toute traduction est une trahison", adage particulièrement vrai en ce qui concerne l'hébreu ; citons parmi les exemples les plus frappants, le passage de la troisième à la deuxième personne du singulier pour parler de Dieu.
2- Malgré les apparences, le premier destinataire des textes liturgiques est celui qui les récite : c'est donc lui qui doit en dégager les enseignements essentiels de ce qui doit constituer sa conscience juive.
Comme illustration, voici une réflexion sur un texte particulièrement
connu puisqu'il s'agit des actions de grâce après le repas.
Première constatation :
Le premier paragraphe rend hommage à Dieu : "Par
Sa Bonté, Sa Bienveillance et Sa Miséricorde, Il nourrit
l'univers entier et Il donne du pain à toutes les créatures
…Il pourvoit aux besoins de tous, Il est bon envers tous les êtres
et, Il procure de la nourriture à toutes Ses créatures".
L'utilisation de la troisième personne de majesté nous
rappelle que nous nous adressons au Dieu tout-puissant, Roi universel,
Maître du monde, auquel on ne peut s'adresser qu'avec crainte et
tremblement.
Deuxième constatation :
Dans le second paragraphe, nous tutoyons d'emblée Celui auquel nous nous adressons : "Nous Te rendons grâce, nous Te remercions …"
On pourrait légitimement imaginer qu'après avoir bénéficié d'un bon repas, copieux et appétissant, on remercie Dieu qui nous a permis de trouver la subsistance dont nous avons besoin, parfois même de façon fort agréable.
Si je laissais libre court à ma spontanéité, je formulerais sans doute mes actions de grâce en disant : "Je Te remercie, Ô Mon Dieu, pour le succulent repas que tu m'as permis de trouver sur ma table, et de le consommer avec délectation".
Mais voilà : il nous est demandé de remercier Dieu, en tant que Dieu d'Israël. Il n'est pas seulement le Roi universel, mais Il est aussi notre Père qui entretient avec son peuple une relation privilégiée : "Nous te remercions pour avoir légué à nos ancêtres une terre belle, bonne, et spacieuse, … pour nous avoir libérés de l'esclavage d'Egypte, nous avoir enseigné Tes lois … et pour tous les bienfaits que Tu nous accordes. Nous voulons Te rendre grâce et Te bénir pour nous acquitter du devoir que Tu nous a prescrit (Deut. VIII, 10) : 'Tu mangeras, tu seras rassasié et tu béniras l'Eternel ton Dieu …".
Il va de soi qu'on s'attendrait à ce que la fin de ce verset mentionne explicitement la nourriture, dans une formule du genre : "Tu béniras l'Eternel pour la nourriture qu'Il t'accorde"
Or, et c'est là le point essentiel sur lequel notre attention doit être attirée : le verset biblique qui instaure le devoir de réciter les actions de grâce et qui y est cité, s'achève seulement par les mots :
" 'Tu mangeras, tu seras rassasié et tu béniras l'Eternel ton Dieu pour la bonne terre qu'il te donne."
Ainsi, en récitant (souvent machinalement) ce texte connu entre tous, tout ce passe comme si son objectif était de nous rappeler que l'alimentation normale, naturelle, de chaque juif est celle qui pousse sur la terre d'Israël.
Pour mieux comprendre cette idée, qu'il me soit permis de prendre deux images triviales :
- un malade, à l'hôpital, est nourri par perfusion : il a un besoin absolu de nutriments vitaux, mais il va de soi que cette forme d'alimentation est anormale, pathologique, et le malade n'a sans doute qu'un souhait : recouvrer la santé pour pouvoir s'alimenter normalement avec les fruits et les légumes qu'il aime ;
- le cosmonaute dans sa cabine spatiale absorbe des gélules contenant tous les nutriments vitaux dont il a besoin ; il va de soi que cette forme d'alimentation est anormale et qu'il n'a qu'un souhait : regagner la terre et retrouver les fruits et les légumes auxquels il est habitué.
Si l'on comprend le texte du "Birkat Hamazon", des "actions de grâce après le repas", on doit s'imprégner de l'idée que, quelles que soient les qualités nutritives et gastronomiques du blé qui pousse en Beauce, et des pommes qui poussent en Normandie, les aliments qui nous ont permis de survivre pendant les siècles de l'exil, constituaient pour nous – même et surtout si l'on en avait pas conscience - une nourriture anormale et pathologique au même titre que les perfusions des hôpitaux ou que les gélules des cosmonautes.
Pendant 2000 ans, en récitant le Birkat Hamazon traditionnel, nous avons fait semblant de ne nous nourrir que de pamplemousses de Jaffa. Mais aujourd'hui, nous avons le privilège de pouvoir prendre tous nos repas sur la terre d'Israël et cela justifie certainement que nous en rendions grâce à Dieu.
Rappelons ici que les prophètes de la Bible portaient souvent leur message par des gestes symboliques qui pouvaient impressionner bien plus que de simples paroles.
C'est ainsi que Dieu demande à Ezéchiel, prophète de l'exil, de se confectionner des pains pétris avec des excréments humains (Ezéchiel IV, 9 – 14) et de les manger aux yeux de tous les passants pendant trois cent quatre-vingt-dix jours. Dieu comprend que le prophète soit incapable d'absorber une telle nourriture et lui permet de remplacer les excréments humains par des excréments animaux. Mais Dieu d'expliquer aussi la signification de ce geste afin que le prophète la transmette à ceux qui le regarderaient :
"Et l'Éternel dit : 'C'est ainsi que les enfants d'Israël mangeront leur pain souillé, parmi les nations vers lesquelles Je les chasserai'." (verset 13).
Tout ce que les enfants d'Israël pourront manger sur leurs terres d'exil devra être considéré par eux, et quelles qu'en soient les qualités nutritives ou gastronomiques, comme … "de la M...." (pour utiliser la terminologie biblique).
Troisième constatation :
Le troisième paragraphe du Birkat Hamazon confirme l'idée que nous avons dégagée des paragraphes précédents puisque aussi bien il commence par une prière dans laquelle on demande à Dieu :
"Prends pitié de ton peuple Israël, de Jérusalem Ta ville et de Sion, lieu de résidence de Ta Gloire …"
Et, pour conclure, on Lui demande de rebâtir bientôt Jérusalem, sa ville :
OU-VENE YEROUCHALAIM IR HA-KODECH BIMHERA
BE-YAMENOU.
Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
A suivre .....