Chiour par Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
Messianisme
Commentaire d’un texte du Talmud Sanhédrin 99a
Rabbi Hiya bar Abba dit au nom de Rabbi Johanan :
"Toutes les prophéties bibliques ne concernent que les temps. Quant au monde à venir ,«jamais œil ne l'a vu, ô Dieu, si ce n’est Toi, ce qu’il fera pour celui qui espère en lui » (Isaïe 64, 3).
Rabbi Hiya n’est pas d’accord sur ce point avec Chmouel, selon lequel il n’y aura pas de différence entre notre temps historique et les jours messianiques si ce n’est la dépendance aux empires [qui aura cessé].La phrase de Rabbi Hiya parle de deux temps : l’un qu’il appelle "le monde à venir", l’autre qu’il appelle "les temps messianiques".
Une brève remarque avant de poursuivre le commentaire de ce texte : les rabbins sont partagés quant à la définition de l’expression "Olam ha-Ba". Pour les uns, le "Olam ha-Ba" est le "monde à venir", c’est à dire ce que sera le monde ou ce qu’il adviendra du monde à partir de demain ou après demain ou peut être dans un futur plus lointain, mais il s’agirait du prolongement de l’histoire à des temps que l’on pourrait qualifier d’eschatologiques. Pour d’autres, le "Olam ha-Ba", "le monde à venir", désignerait un monde qui existe déjà : ce serait le monde dans lequel vivent les âmes de ceux qui ont cessé de vivre sur terre.
Ainsi, Rabbi Hiya Bar Abba a dit au nom de Rabbi Yohanan que toutes les visions qu’ont eues les prophètes ne concernent que les "temps messianiques" qui sont des temps qui constituent le prolongement de l’histoire qui nous est familière. Quant au "monde à venir", poursuit la citation, jamais personne n’en a eu d’image, même pas les prophètes, ce qui peut signifier soit qu’aucun être humain n’a entrevu ce que peut être le monde de l’au delà dans lequel vivent les âmes, ou cela peut signifier que aucun prophète n’a vu ce que sera l’histoire des hommes sur terre au delà des temps messianiques.
En tout état de cause, on peut prendre comme exemples ou comme illustration de ces visions prophétiques, l’image du loup et de l’agneau qui paîtront en bonne intelligence, ou bien l’image des montagnes qui s’affaisseront et des vallées qui seront comblées, images qui dans l’esprit de Rabbi Hiya Bar Abba doivent être prises à la lettre. C’est à dire que l’avènement des temps messianiques sera caractérisé dans sa conception des choses par un bouleversement des lois naturelles : lorsque les loups seront devenus végétariens et que la surface de la terre sera aplanie, on pourra dire que se seront réalisées les prédictions des prophètes ; quant au "Olam ha-Ba", selon Rabbi Hiya Bar Abba, personne n’en a jamais eu la moindre vision ni réelle ni même allégorique.
Le texte du Talmud continue en disant que Rabbi Hiya Bar Abba n’est pas d’accord sur ce point avec Chmouel qui affirme qu’il n’y aura pas de différence entre les temps historiques que nous connaissons et les temps messianiques, si ce n’est la dépendance aux empires ou aux nations. Autrement dit, pour Chmouel, la seule différence entre les temps historiques et les temps messianiques porte sur l’indépendance politique du peuple d’Israël sur sa Terre. Sans doute cette compréhension des choses est-elle surprenante et mérite que l’on s’y arrête.
En fait, l’image des temps messianiques édulcorée, mièvre, ne correspond pas à la vision des prophètes voire de Moïse qui a dit : (Deut. XV, 1) : « il y aura toujours des pauvres à la surface de la Terre » ; l'existence de pauvres est en général la conséquence d’injustice sociale : ainsi, pour Moïse et pour la pensée juive, même aux temps messianiques, il y aura encore des inégalités sociales. Le fait que la seule différence entre les temps historiques et les temps messianiques porte sur une notion politique peut être corroboré par un certain nombre de textes essentiels, notamment de textes particulièrement connus.
On sait que Rabbi Akiba et ses collègues ont vu en Bar Kokhba une figure de potentialité messianique, le rôle de Bar Korba était de vouloir libérer la Terre d’Israël de l’occupant romain : à ce seul titre Rabbi Akiba et ses collègues ont considéré que Bar Korba pouvait être le Messie, dans la mesure où son entreprise, si sa révolte avait abouti, aurait libéré la Terre d’un occupant étranger. On peut ajouter à cet argument le fait que le seul personnage auquel la Bible associe le terme de Machia'h - Messie - est un empereur - qui plus est non juif ! -, qui a permis la restauration d’un état juif sur la Terre d’Israël et à ce titre il a accompli une fonction messianique (Daniel IX, 25).
L’une des autorités qu’il faut citer dans le prolongement de Chmouel est Maimonide qui ajoute que même dans les temps messianiques il y aura encore des guerres pour protéger l’indépendance de cet état juif indépendant. Et Maimonide se base sur un texte talmudique du traité Chabbat où la question rituelle se pose de savoir si les hommes ont le droit de porter le Chabbat une épée en guise de bijou ou de savoir si les épées sont considérées comme des instruments de guerre et par conséquent interdites à toute manipulation le jour du Chabbat. Il est vrai qu’une épée de polytechnicien ou une épée d’académicien constitue une parure, une décoration, et la question est donc parfaitement justifiée. Dans la discussion talmudique concernant cette question, certains rabbins disent que les épées deviendront un jour des pièces de musée, puisque la prophétie biblique annonce que "les épées seront transformées en socs de charrue ou en serpettes" (Isaïe II, 4), mais Chmouel justifie sa position en disant que même aux temps messianiques les épées devront peut-être être utilisées comme armes de guerres et à ce titre ne peuvent en aucun cas être considérées comme des parures.
Ainsi, pour Chmouel la définition des temps messianiques, telle qu’elle sera reprise par Maimonide et bien d’autres par la suite, est une définition qui porte essentiellement sur l’indépendance politique.
On peut se poser la question de savoir pourquoi, parmi toutes les prophéties bibliques, parmi toutes les images que la Bible associe à "la suite des temps", pourquoi Chmouel a retenu précisément celle-ci pour qu’elle serve de critère à l’instauration des temps messianiques. Parmi les réponses que l’on peut donner à cette question, il convient de rappeler que lorsque Dieu a créé l’homme, Il s’est condamné, si l’on peut s’exprimer ainsi, à ne plus intervenir dans l’histoire des hommes de manière à ce que son intervention soit évidente et manifeste, le retrait apparent de Dieu de l’histoire des hommes étant le gage de la liberté des hommes.
De toutes les prophéties bibliques, la seule qui puisse se réaliser sans bouleverser radicalement les lois naturelles, est celle qui concerne la restauration d’un Etat indépendant sur la terre d’Israël, toutes les autres impliquant un bouleversement cosmique, soit parce que la nature des loups sera transformée soit parce que montagnes seront affaissées, pour garder les exemples évoqués précédemment.Ainsi, dans la perspective de Chmouel, les temps messianiques s’inscrivent dans le prolongement des temps historiques que nous connaissons avec pour seule différence la restauration d’une indépendance juive sur la terre d’Israël.
Cette réflexion peut intervenir dans les hypothèses qui ont été invoquées pour justifier la crucifixion de Jésus. En effet, les romains ne se sont guère souciés des options idéologiques ou religieuses des peuples qui étaient sur les terres qu’ils avaient conquises. La seule interférence entre des idéologies et l’attitude des romains se situe en Judée à propos de Jésus. En effet, les romains n’avaient aucune raison d’être inquiétés par le fait qu’un homme se prétende être le messie, mais sans doute leurs services de renseignements avaient appris que le premier rôle du messie consistait à libérer la terre de toute occupation étrangère ; il était par conséquent prudent de leur part de mettre un terme aux actions d’un personnage qui risquait d’être un agitateur politique ou qui risquait d’être à l’origine de la fin de leur présence et de leur domination au Moyen-Orient.
Ainsi, dans l’optique de Chmouel, les temps messianiques constituent une période transitoire entre les temps historiques que nous connaissons. Sans doute des temps différents interviendront après cette période que l’on appelle "les temps messianiques" et qui, selon certaines opinions dont on trouve l’écho dans le Talmud, devait durer 40 ans (Sanh. 99 a).
Cette réflexion sur la définition du messianisme a bien entendu des incidences sur l’attitude de la pensée juive, du peuple juif, à l’égard de la création de l’Etat d’Israël contemporain. Si rares sont les rabbins qui osent affirmer que l’on est entré d’emblée dans les temps messianiques, ne serait-ce que parce qu’une trop grande fraction du peuple est restée étranger ou extérieur à cette terre et parce que le perfectionnement moral attendu dans les temps messianiques ne s’est pas encore manifesté, il n’en reste pas moins que nombreuses sont les autorités religieuses qui voient dans la création de l’Etat d’Israël une potentialité messianique : la création de l’état d’Israël peut constituer une étape déterminante dans l’Histoire de l’humanité.
Le retour du peuple sur sa terre constitue l'essentiel du chapitre XXXVI du livre d'Ezéchiel ; la restauration morale interviendra ultérieurement. Quand les enfants d'Israël sont dispersés, exilés parmi les nations, Dieu considère que Son Nom est profané ; le plus important et le plus urgent pour Lui, si l'on en croit ce texte biblique est de voir son image de marque restaurée par le retour de Ses enfants sur la terre qu’Il habite.
Rabbin D. Gottlieb.
A suivre .....