DES TECHNIQUES POUR PROVOQUER L'EXTASE
On peut assimiler l'Arbre de Vie à un "no-man-land" où
des rencontres ont parfois lieu.
Mais lors de ces incursions, on prend des risques, même
lorsqu'on a acquis
des armes et des méthodes pour affronter les épreuves.
La Tradition enseigne que le maintien d'une distance adéquate
entre l'homme et l'objet de sa connaissance,
distance comparée à la portée d'une flèche
au tir à l'arc,
est le vrai sens de la "crainte de Dieu", début de la
sagesse.
L'amour du divin déclenche le désir d'ascension,
sa crainte crée la distance adéquate. La volonté
et le désir d'ascension
suit le chemin inverse de celui de l'esprit prophétique
qui, lui, descend d'en Haut
et il est reçu sans effort particulier.
Par convention on appellera "esprit saint", l'extase obtenue
par des techniques de stimulation,
avec l'aide d'un maître sincère et selon des règles
bien précises.
Les pratiques de stimulation ont toujours existé mais se
sont développées avec
la prolifération des écoles prophétiques,
à l'époque des rois de Juda et d'Israël.
En effet, au fur et à mesure que le divin s'estompait
et que l'esprit prophétique s'amenuisait,
on avait recours à des méthodes spécifiques
pour le stimuler.
Il semble qu'en Terre Sainte, à l'époque des Rois,
notamment après la construction du Temple de Jérusalem,
les méthodes de stimulation et d'éveil étaient
communes dans la vie quotidienne du peuple
et qu'on y parvenait par la concentration et par la prière,
chacun priant selon son coeur et son esprit,
en dehors de tout cursus préétabli.
Après la destruction du premier Temple et l'exil à
Babylone,
l'enseignement et la pratique populaire ont progressivement disparu
entrant dans la marginalité, accompagnés
de toutes les déviations qui en découlent. De ce
fait, les académies "ésotériques" sont devenues plus
discrètes,
voire secrètes, et n'étaient ouvertes qu'à
des personnages ayant atteint un certain niveau
dans la voie du perfectionnement personnel.
En délaissant l'enseignement menant à l'"esprit
saint", l'homme n'exploite plus son intériorité
et s'appauvrit. Mais d'un autre côté, en suivant
la voie de pratiques non
conformes à un désir sincère et ardent,
parfois sous la houlette de maîtres aventuriers ou pervers,
il sombre rapidement dans la magie, l'incantation et la sorcellerie,
dans lesquelles la vérité et le mensonge sont amalgamés.
Ceci expliquerait en partie la raison pour laquelle les organisations
religieuses établies ont préféré figer toute
évolution spirituelle, dans un contenu strict et des règles
précises du rituel et de la prière.
La voie de l'éveil authentique et désintéressé
a toujours été étroite, comme le fil du rasoir.
Aussi, nous n'avons que des bribes d'information sur les méthodes
de stimulation et
d'éveil pratiquées depuis trois mille ans.
On retiendra essentiellement quatre voies mentionnées plus
ou moins discrètement dans la Bible et dans certains livres apocryphes.
La voie la plus commune est la
méditation contemplation, accompagnée ou non d'une
prière intérieure ou à voix basse. La deuxième
voie fait appel aux sens, car il s'agit de musique accompagnée
ou non de mélodies ou de psalmodies. La troisième
voie consiste à pleurer, pour vider son être de tout ce qui
gênerait une vision. La quatrième voie, très particulière
et réservée aux initiés, n'est mentionnée
que d'une manière indirecte, notamment dans les Psaumes et dans
le Cantique des Cantiques. D'après Rabbi Aqiba, ce
dernier livre serait le livre le plus saint de la Bible et contiendrait
les bases d'une voie d'élévation spirituelle non conventionnelle.
Toutes ces techniques supposent qu'il existe chez le candidat
un désir ardent et sincère de parvenir à une "connaissance
du divin", par un perfectionnement personnel
et que son âme se soit purifiée, à ses différents
niveaux, par une longue préparation incluant l'étude, la
pratique religieuse, l'abstinence et la pureté.
L'extase est un état évolutif où le sujet
fait abstraction de son moi provisoirement. Cet état correspond
au passage de l'être au non-être et s'accompagne d'une peur
morbide. Le sujet se met à trembler, puis son corps s'alanguit,
il perd ses forces et les sens le lâchent, il a la sensation qu'il
va mourir. C'est alors que surgit un flux qui
agit sur son âme, la fortifie et l'unifie. Un éclair
l'illumine soudain et il reçoit un message dans une vision.
La méditation contemplation
La première mention biblique de la méditation concerne le patriarche Isaac dans les champs. Genèse 24/63-64:
"Isaac était sorti dans les champs pour se livrer à
la méditation, à l'approche du soir. En levant les yeux,
il vit que des chameaux s'avançaient. Levant les yeux,
Rébecca aperçut Isaac, et se jeta à bas
du chameau"
La racine hébraïque du mot méditation (siah')
a donné de nombreux sens: converser, parler, errer, nager, s'enfoncer,
buisson, puits. En méditant, on remplace la
carapace édifiée autour de son ego, par celle d'un
feu ardent et désintéressé. Comme le patriarche Isaac,
il faut sortir de soi-même, traverser la porte de sa maison,
aller vers le puits vivant et s'y regarder comme dans un miroir.
Isaac s'est dépouillé de son enveloppe physique, s'est isolé
intérieurement afin de pouvoir converser
avec lui-même d'abord. Puis progressivement, les différents
niveaux de son âme se sont imprégnés des effluves venant
d'En-Haut. Le patriarche Isaac voit une
caravane de chameaux; ceci signifie qu'il a atteint la Sagesse.
Il voit sa dulcinée Rébecca: il va alors à la rencontre
de la partie cachée et inconsciente de son être,
l'"anima". Pendant un court instant, son esprit a triomphé
de son corps et Isaac a bénéficié d'une grande lucidité.
On médite dans différentes postures. Moïse
élevait les bras vers le ciel en les écartant, pour capter
le flux d'En-Haut, soit debout, soit à genoux. Elie avait tendance
à
s'asseoir et à se plier en deux, la tête enfouie
entre les genoux. Daniel se jetait par terre. Il existe d'autres attitudes,
non mentionnées dans la Bible, telle que la posture
"angélique", debout, genoux non pliés, pieds joints,
à angle droit, avec un balancement du corps d'avant en arrière
et d'arrière en avant. L'attitude sacerdotale
consiste à se couvrir la tête, le haut du corps
et les bras d'un châle de prière, à lever les bras
vers le ciel, les doigts écartés et groupés par deux,
en dehors du pouce.
Impliquant la répétition des noms divins, les différentes
méthodes de méditation ne sont transmises que de maître
à disciple. Dans son oeuvre, Aboulafia décrit
différentes techniques complexes de respiration, de vocalisation
et d'associations de noms divins qui permettent de parvenir à l'esprit
saint. D'accès difficile, toutes
ces techniques entraînent une forte concentration du chercheur,
qui alors descend au fond de son être, avant de monter vers le "char
divin".
L'extase induite par la musique et les psaumes
On peut atteindre l'"esprit saint" en écoutant ou en chantonnant
des mélodies et des psalmodies harmonieuses basées sur le
texte des Psaumes. Dès l'époque des
premiers rois, les prophètes chantaient en groupe et arrivaient
même à communiquer l'esprit prophétique au roi Saül
qui en était dépourvu. 2 Samuel 10/10:
"Et quand ils arrivèrent à la colline en question, un choeur de prophètes vint à sa rencontre; l'esprit divin s'empara de lui, et il prophétisa au milieu d'eux."
Le roi David était un homme inspiré qui organisa
des ensembles musicaux et des chœurs. Il créa même des instruments
de musique. On raconte que David avait
accroché sa harpe à la fenêtre, au-dessus
de sa couche. Vers minuit, la brise du nord commençait à
souffler dans les cordes et, selon le gré du vent, une harmonie
mélodieuse réveillait le roi et l'invitait à
étudier ou à écrire les Psaumes.
Le roi Salomon poursuit cette tradition notamment après
l'édification du premier Temple. Les groupes s'élevaient
en choeur pour atteindre une extase, appelant la
présence divine ou "shékhinah", celle-ci allant
à la rencontre des chantres et des musiciens. Lors de l'inauguration
du Temple, après que le roi Salomon eut prié et
après qu'il eut procédé aux sacrifices rituels,
la Gloire de l'Eternel remplissait la maison qu'il venait d'achever pour
Lui. A la vue du feu d'en-Haut, tous les enfants
d'Israël se mirent à genoux, ou la face contre terre,
ou se prosternèrent, en chantant. Puis les prêtres rendaient
hommage à l'Eternel par la musique et les chants.
Certains spécialistes auraient réussi à retrouver
les mélodies de cette époque. Ce sont à la fois des
plaintes et des invocations, pouvant paraître lugubres, mais ce
sont aussi des notes sacrées et fortes donnant des frissons.
Il est probable que cette musique et ces chants induisaient un état
d'extase pouvant mener à l'"esprit
saint". On ignore si cette extase entraînait la transe.
Pleurer
Il était d'usage de pleurer lors de l'anniversaire de la
destruction du Temple. On pleurait également lors d'un acte de repentance,
en vue d'accélérer la venue du
Messie.
La plus ancienne preuve des pleurs mystiques se trouve dans le
livre apocalyptique d'Henoch II, dont j'ai parlé plus haut. Hénokh
a des visions après avoir pleuré.
Dans un autre livre de cette époque (Ezra IV), il est
écrit "j'ai jeûné sept jours, je me suis morfondu puis
j'ai pleuré, comme me l'avait ordonné l'ange Ariel, et je
reçus une deuxième vision…". Un des élèves
de l'auteur présumé du Zohar, Shimeo'n Bar Yoh'ay, se morfondait,
car il oubliait aussitôt tout ce qu'il venait
d'apprendre. Il est donc allé se recueillir sur la tombe
de son maître en pleurs; celui-ci lui apparut en rêve lui conseillant
de répéter trois fois ce qu'il apprenait, pour le
mémoriser. Jusqu'à ce jour, les croyants vont se
recueillir sur la tombe de cet éminent maître, à Meron
près de Safed, en Galilée, pleurant toute la nuit, et espérant
avoir une réponse à leurs problèmes. Dans
le Zohar, les personnages pleurent, puis ayant l'esprit plus clair, ont
des visions. Lorsque le texte indique qu'untel est
monté sur son âne après avoir pleuré,
c'est qu'il annonce une vision. Monter sur son âne c'est à
la fois maîtriser le monde matériel et s'en détacher.
La combinaison et la permutation des lettres
Cette méthode est pratiquée depuis la construction
du Temple, mais surtout au Moyen-Age et de plus en plus fréquemment
aujourd'hui par des qabalistes. Il s'agit
d'une méthode particulière et subtile qui consiste
principalement à obtenir des sens nouveaux au texte de la Bible,
par la manipulation des lettres.
Elle n'est pas mentionnée explicitement, mais j'ai des
raisons sérieuses de penser que le livre du Cantique des Cantiques
recèle les bases d'une telle pratique.
Contrairement à la méditation ou à la contemplation
des lettres et à l'extase musicale, elle est d'un accès plus
difficile car elle implique des connaissances
approfondies en matière de linguistique et d'exégèses.
Par ailleurs, plus que les autres voies de stimulation, elle est contraignante
en ce qui concerne aussi bien les
facultés rationnelles, puisque la rigueur doit présider
à toute recherche pour éviter les hérésies,
que les facultés imaginatives et d'intuition, sans lesquelles toute
tentative est vouée à l'échec, car alors
elle ne serait qu'un simple exercice mécanique.
Base de la recherche en qabalah, cette méthode, poussée
à son paroxysme, peut induire dans certaines circonstances l'"esprit
saint". Elle peut être combinée avec la
méditation et la contemplation des lettres hébraïques.
Elle consiste à rechercher des sens nouveaux aux mots, aux versets
ou à la totalité d'un chapitre ou d'un livre de
la Bible. Cette recherche est menée soit en découpant
les mots ou les versets différemment, soit en combinant de différentes
manières les lettres d'un même mot, soit
en procédant à des permutations, des acrostiches
ou à des équivalences de valorisations numériques
(guématria). L'analyse combinatoire poussée à un certain
degré
apporte à celui qui l'exerce un certain ravissement, appelé
"shaa'shaa" en hébreu, terme qu'on retrouve fréquemment dans
les Psaumes. Autant que les autres voies,
sinon plus, cette méthode de recherche et de transcendance
porte en elle les dangers d'atteindre en soi des limites périlleuses,
auxquelles l'esprit n'est pas forcément
préparé. Elle présente néanmoins
une sauvegarde, la difficulté d'y accéder.
Il est certain que des qabalistes, notamment ceux cités,
ou simplement des individus en quête d'une transcendance ou cherchant
à assouvir leur soif mystique aient
approché ou atteint l'"esprit saint", en pratiquant une
de ces méthodes. Les traces écrites de ces expériences
sont rares mais elles existent néanmoins.
Il y a lieu cependant de préciser que cette volonté
délibérée de limiter la distance entre l'humain et
le divin, même si elle est désintéressée, est
pleine de périls. La folle
ambition de rétrécir cette zone de sécurité,
remplie à dessein par l'univers angélique, entraîne
des hérésies et des déviations. Seuls ceux qui s'y
sont longuement
préparés peuvent s'y aventurer. Mais peut-être
qu'un jour l'esprit prophétique authentique reviendra et s'emparera
de tous les hommes, l'esprit qui est reçu sans avoir
à le rechercher! N'est-il pas écrit dans Joël
3/1:
"Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair,
si bien que vos fils et vos filles prophétiseront, que vos vieillards
songeront des songes et que vos jeunes gens
auront des visions."
Albert SOUED - 5 avril 2000
Nous remercions Mr Albert SOUED pour son
travail remarquable
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