Rappel
Rappelons ici que c'est dans le livre de
la Formation ou Séfer Yetsirah qu'on parle pour la première
fois de séfirot, en tant que "nombres" participant à la création
de l'Univers (premiers siècles de l'ère courante). Puis le
Bahir, le livre de la Clarté (Roussillon 12ème siècle)
en parle en tant qu'attributs divins. Mais il faut attendre la fin du 12ème
siècle pour qu'Isaac l'Aveugle en fasse une présentation
ordonnée telle que nous la connaissons (Gérone). Moïse
de Léon a construit le Zohar, le livre de la Splendeur, autour de
ces dix entités, bien qu'il ne les désigne pas nommément
(Castille 1280). Plus tard Cordovero précise la construction d'un
Arbre de Vie et développe toute une théosophie dans le Palmier
de Déborah (1549).
DE KÉTER À MALKHOUT
Préliminaires
D'après un spécialiste du mysticisme de la Qabalah, Gershom Sholem, le monothéisme ne peut trouver sa véritable raison d'être que dans une tension et un va-et-vient entre les deux pôles extrêmes du tout ou rien. "Tout" est l'adhésion totale au divin ou la recherche du divin en toute chose, entraînant de ce fait les avatars de l'idolâtrie et du polythéisme. "Rien" est la vacuité de toute spiritualité, la négation de toute transcendance, la matière étant origine et fin. Liés à la recherche d'absolu, ces deux pôles extrêmes engendrent les intégrismes et la violence. La spiritualité du monothéisme est une recherche du divin, à travers ses deux aspects transcendant et immanent, excluant de se fixer à l'un ou l'autre des pôles extrêmes. Elle implique le mouvement et la mobilité de l'être, à la recherche de la zone d'équilibre et d'apaisement personnel entre les extrêmes, tout en évitant de s'en approcher.
La Tradition de la Qabalah qui n'est qu'une tendance de "la stricte voie tracée", offre précisément à chacun la possibilité d'évoluer dans le sens de l'équilibre, par la construction d'une arborescence appelée "Arbre de Vie" et par le cheminement dans ses sentiers, dans le but de sentir et de repérer la voie du milieu. Elle offre la possibilité de discerner entre les dualités qui nous habitent, tant sur le plan pratique que sur le plan éthique. L'être humain baigne dans le mélange du bien et du mal, agit avec intuition et jugement, réagit par la rigueur et la miséricorde, vit à travers des comportements actifs et passifs, masculin et féminin... Encore faut-il en être conscient.
La connaissance du divin passe par la connaissance
de soi, mais on peut aussi inverser la proposition. La démarche
de réflexion et de cheminement liée à l'Arbre de Vie
pose un acte et crée des repères, facilitant de ce fait la
relation avec le divin. Celle-ci est une vibration autorisant une approche,
un simple effleurement.
On peut appréhender l'Arbre de Vie
comme un modèle de l'esprit se reflétant dans tous les actes
de la vie matérielle ou comme une transposition des archétypes
humains dans un univers aux limites du cerveau humain, allant jusqu'aux
frontières du divin. Appelé monde intermédiaire, cet
espacement est le résultat de séparations successives résultant
du processus de la création et de l'éloignement progressif
du divin. Comparable à un sas entre le monde spirituel et le monde
matériel, ce monde est inaccessible au profane. Mais un individu
préparé peut le sentir, le percevoir ou s'en rapprocher.
L'infini "ayn sof" est une "unité sans limite" qui règne dans l'éternité. Cette unité est aussi une volonté sans finalité, sans besoin et sans détermination. De cette volonté naît la pensée ou le projet de créer l'univers: l'origine du déclic est la Cause des Causes, le secret absolu et insondable, la grande interrogation qui sépare la foi de l'incrédulité. Le résultat de cette pensée est ce double mouvement simultané de retrait et d'émanation, qui équivaut en fait à une immobilité sur le plan ontologique. Le mouvement de retrait aboutit à faire le vide, à obtenir le "néant" et à laisser une place à la création. Le mouvement inverse est celui de l'émanation qui aboutit à remplir ce néant de lumière, une "lumière sans limite". C'est la "Sagesse du Commencement".
Globalement l'"unité sans limite" s'est déjà retirée dans son immobilité, en ne laissant qu'une "trace", presque un souvenir que l'homme fait revivre par son action et par sa propre pensée. D'où le schéma d'un Arbre de Vie, agencement spécifique des "attributs" du divin, de cette trace du "sans limite", pour la saisir ne serait ce qu'un instant, une fraction de seconde avant qu'elle ne s'évanouisse dans la nuit du temps. L'être humain cherche à conserver cette petite parcelle de lumière, cette étincelle qui lui est parvenue. Il cherche à la faire vivre à travers les branches et les noeuds de cet "Arbre de Vie", appelés lettres et séfirot.
Sur le plan matériel, l'être
humain est un être fini qui ne peut réaliser cette sauvegarde
qu'avec ses limites. Il est ainsi amené à illustrer le fond
de sa pensée par des images et des schémas. Mais comment
représenter l'idée que l'on se fait d'émanations,
de flux de lumière, d'écoulement de rosée, d'attributs
émanant d'un être infini, à la fois lointain et proche,
sans tomber dans l'anthropomorphisme? Et il est encore plus difficile d'exprimer
en langage humain compréhensible l'idée que l'on se fait
de la pensée de D. eu égard au monde créé.
La Tradition a essayé de combler ce fossé en proposant cette notion de "séphirah" qui a reçu les désignations les plus étranges et les plus poétiques: parole, lumière, force, source, saphir, mesure, couronne…. Ce mot dérive de la racine s/p/r qui a plusieurs sens: numération (nombre, recensement), narration (récit, livre), transparence (saphir, sphère). Pour se fixer les idées on peut dire que les séfirot sont les vases créés par l'épanchement de la lumière originelle, celle qui provient du mouvement de retrait et d'émanation de l'unité "sans limite". Ces vases sont aussi bien des récepteurs que des transmetteurs, aussi bien des récipients que des outils de la création.
Tant les lettres de l'alphabet peuvent être
aisément appréhendées comme les briques élémentaires
du langage, de la création et de l'action, dans la construction
de l'univers, tant les séfirot apparaissent comme des entités
abstraites, difficiles à concevoir. Plus l'être humain parvient
à élever son âme et à tendre vers son côté
infini, plus il est capable de les sentir ou de les comprendre. En fait,
il faut savoir ici que le monde intermédiaire des forces-séfirot
et des signes-lettres coïncide avec le monde des anges et des âmes,
qui sont deux aspects d'une même unité, à l'image de
la lumière qui est à la fois ondes et particules.
L'Arbre de Vie est la construction centrale de la Qabalah. Il est une image universelle de l'unité fracturée dans le décimal. Pour se fixer les idées, le nombre dix peut être représenté par des choses aussi concrètes que des oiseaux ou des fruits; ici il s'agit de notions abstraites comme la sagesse, la compassion ou le discernement.
Malgré ou grâce à son anthropomorphisme, l'Arbre de Vie est une image qui plaît. Elle est comme une empreinte subtile que le monde spirituel a laissé dans le subconscient de l'homme, ou dans sa mémoire profonde. Des approches différentes sont pourtant nécessaires pour en préciser le contour, même si on est amené à se répéter. Nous abordons ci-dessous une approche à travers les premières occurrences des mots dans la Bible, ainsi qu'une approche sémiologique qui la complète.
Kéter
"Kéter", la couronne, n'est citée que trois fois dans la Bible. Ces trois citations proviennent du livre d'Esther et à chaque fois le mot Kéter est associé à Malkhout, le Royaume. Dans ces trois et seules citations de la couronne, la première et la dernière séfirah sont ainsi unies. "Kéter Malkhout" est la couronne royale avec laquelle la reine Vashty devait se présenter devant le roi Assuérus, quand elle était invitée au banquet des hommes (Esther 1/11).
Esther 1/11: (le roi ordonna) "d'amener devant le roi la reine Vashti, ceinte de la couronne royale, dans le but de faire voir sa beauté au peuple et aux grands, car elle était remarquablement belle".
Après son refus de venir nue devant le roi, Vashty fut répudiée et sa couronne fut transmise à la belle Esther, après de nombreuses péripéties (Esther 2/17). Enfin, malgré la haine de Haman contre le peuple hébreu en général et contre Mordekhay en particulier, et malgré ses projets funestes d'extermination, Mordekhay a été honoré par le roi pour avoir su déjouer un complot contre lui. En récompense, Mordekhay devait faire le tour de la ville sur un cheval royal, avec la Couronne Royale et conduit par son ennemi Haman (Esther 6/8).
La couronne royale est ainsi liée à la célébration de Pourim, pour fêter "le changement du sort", le renversement d'une situation. Ces occurrences et le lien étroit entre les deux séfirot Kéter et Malkhout ne sont pas fortuits. Malkhout est considérée parfois comme la couronne du bas et elle est ainsi appelée "a'théret". Ces associations signifient que de Kéter à Malkhout, on se trouve devant la même unité. La descente de Kéter à Malkhout entraîne aussi la remontée de Malkhout vers Kéter; il ne s'agit pas d'un aller simple mais d'un aller et retour. Ceci est confirmé par l'équivalent guématrique de Kéter qui vaut 620, soit "e'srim" ou 20. Vingt est le nombre de séfirot dans le voyage aller et retour.
Sur le plan sémiologique, Kéter
est le "signe de l'arrondi", le couvre chef qui protège et qui sépare,
formant la haie du Roi, entre un monde à part et secret et le début
de l'univers divin. Kéter est l'attribut suprême, resplendissant
dans son silence, à la fois pressant vers le bas et limitant le
champ de l'ascension. La Couronne Kéter délimite le monde
intermédiaire et protège l'accès à l'univers
d'en Haut. Cette protection pourrait être une explication du renversement
de situation.
H'okhmah
H'okhmah, la Sagesse, est citée plus de 150 fois dans la Bible mais seulement dix fois dans le Pentateuque. La première occurrence de H'okhmah se trouve dans Exode 28/3: "Tu enjoindras donc à tous les artistes habiles, que j'ai doués du génie de l'art, qu'ils exécutent le costume d'Aaron, afin de le consacrer à mon sacerdoce"
Il s'agit des recommandations données à Moïse pour confectionner l'habit du grand prêtre Aharon. Cet habit doit être réalisé par des artistes inspirés dont le cœur aura été rempli de l'"esprit de sagesse".
Les autres citations de l'Exode concernent la conception et la construction de la tente du Rendez Vous et des différents objets et ustensiles pour le culte. Les qualités ou attributs de "Sagesse – Intelligence (discernement) - Connaissance" sont liés dans ces citations. Ces qualités sont attribuées en particulier à deux hommes Oholiav et Betsal-el, mais aussi à tout artiste, homme ou femme, dont le cœur aura été rempli de l'esprit divin.
Le premier verset du Deutéronome contenant la H'okhmah concerne l'observance et la pratique des lois et des statuts; celles-ci confèrent au peuple hébreu à la fois la Sagesse et le Discernement (Deutér 4/6). Dans le second verset (Deutér 34/9), Josué fils de Noun est investi comme héritier de la tradition mosaïque, car il est plein de l'esprit de sagesse.
Dans les autres parties de la Bible, les trois attributs cités ci-dessus sont repris pour qualifier les artisans du Temple de Jérusalem, Salomon et Hiram, mais aussi la reine de Saba. La plupart des autres citations se trouvent dans les deux livres attribués au roi Salomon, l'Ecclésiaste et les Proverbes, ainsi que dans le livre de Job.
Sur le plan sémiologique, H'okhmah est un questionnement sur l'existence, le point de départ de la création et la chaleur du début. Les qabalistes y ont vu le Père "aba", le point yod, germe créateur.
Ainsi l'attribut Sagesse est étroitement lié au cœur qui se remplit de l'esprit divin. Il est conféré aussi bien à des hommes qu'à des femmes. Cette Sagesse préside à la conception et à la construction de la Tente du Rendez Vous et du Temple de Jérusalem, microcosmes à l'image du macrocosme. L'observance des commandements par le commun des mortels mène à cette Sagesse, et aussi au Discernement, séfirah suivante.
D'après la tradition, la Sagesse s'acquiert par la crainte de D., mais comme toutes les qualités il ne faut pas en abuser. L'exagération dans la Sagesse mène à la vanité et au chagrin. Parfois un peu de folie a plus de poids qu'un excès de Sagesse.
Mais la Sagesse reste néanmoins du
côté de la miséricorde.
Binah
Binah est le Discernement et cette séfirah apparaît pour la première fois dans le Deutéronome 4/6 cité ci-dessus. La Sagesse et le Discernement sont les deux attributs auxquels peuvent accéder ceux qui observent et pratiquent les commandements. C'est la seule occurrence dans le Pentateuque.
Deutéronome 4/6: "Observez les et pratiquez les! Ce sera là votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples, car lorsqu'ils auront connaissance de toutes ces lois, ils diront: "Elle ne peut être que sage et intelligente cette nation!"
Il y a une quarantaine de références bibliques surtout dans Job et les Proverbes, toutes liées à la compréhension des choses avec les limites du cerveau.
L'autre désignation rencontrée est Tvounah, l'intelligence, terminologie très voisine de Binah.
Le discernement suggère une "pensée construite": comme on édifie une maison à partir d'une fondation, comme on élève son enfant, on construit un raisonnement. Pour comprendre le sens intime des choses, on commence par un ordre logique, on y ajoute du bon sens, avec comme but la connaissance du divin. On discerne une parole à partir d'une autre parole à travers sa propre intériorité et le concept prend alors naissance progressivement. Binah implique la rigueur du raisonnement et du jugement.
Sur le plan sémiologique Binah est l'intériorité dans la connaissance du divin.
Les qabalistes y ont vu la mère "ima",
la matrice des sept attributs suivants, le souffle créateur et le
signe du féminin. Elle est la porte de passage vers le monde supérieur,
interdit au commun des mortels.
Daa't
Daa't , la connaissance n'est pas un attribut en soi et n'est pas décompté parmi les dix séfirot. Il résulte d'une synthèse entre les deux séfirot précédentes H'okhmah et Binah. Dans certaines constructions de la Qabalah, Daa't est mis en avant à la place de Kéter. La "connaissance du divin" résulte d'une fusion harmonieuse de la Sagesse et du Discernement.
La première occurrence du mot "Daa't" est précoce puisqu'elle apparaît au début de la Genèse. Genèse 2/9: "L'Eternel fit surgir du sol toute espèce d'arbres, beaux à voir et propres à la nourriture; et l'arbre de vie au milieu du jardin, avec l'arbre de la connaissance du bien et du mal"
Elle désigne un arbre à l'intérieur du jardin d'Eden. Cette citation est suivie de l'interdiction de manger du fruit de l'Arbre de la connaissance du Bien et du Mal, sous peine de mourir (Gen 2/17). Puis Adam contrevient à cette interdiction et acquiert ainsi la même connaissance que le divin. Puis il s'apprête à manger de l'Arbre de Vie qui lui confère l'immortalité (Gen 3/22). Comme en Eden la connaissance et l'immortalité sont antinomiques, Adam a été amené à choisir la finitude de la vie avec le mélange du bien dans le mal.
Les autres citations bibliques confirment que Daa't désigne la connaissance du divin, conférée à certains êtres pour qu'ils puissent réaliser sur terre des œuvres symboliques et significatives à l'image d'un monde supérieur (Tente du désert, Temple de Salomon).
Sur le plan sémiologique, Daa't est
la porte qui s'ouvre sur les origines et la source du signe, ou vers le
temps "hors du temps", l'infini. Daa't est le delta ou le triangle lumineux,
le passage de la lumière descendante ou de celle qui remonte quand
elle est amplifiée par l'action humaine.
Albert SOUED - février 1995
Nous remercions Mr Albert SOUED pour son travail remarquable
LES SÉFIROT SONT TIRÉES DE
LA BIBLE
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